Comment le Magal de Touba redessine la carte économique du Sénégal

octobre 11, 2025

Avec plus de six millions de pèlerins, le Magal de Touba s’impose comme un événement religieux d’envergure. Mais au-delà de sa portée spirituelle, il génère des effets économiques massifs à l’échelle nationale. Décryptage d’un modèle informel en voie de structuration.

Une affluence record aux retombées économiques exponentielles

Pour sa 131e édition, le Grand Magal de Touba a enregistré 6 583 278 participants, marquant une hausse de 12 % par rapport à l’année précédente. Selon l’étude conduite par le statisticien Moubarack Lo pour le comité d’organisation, cette affluence place le Magal parmi les plus grands rassemblements religieux musulmans d’Afrique de l’Ouest.

Mais l’événement dépasse largement son cadre spirituel. Selon Serigne Abdoul Lahad Mbacké Gaïndé Fatma, président de la Commission culture et communication du Grand Magal, « le chiffre d’affaires global de cette édition 2025 est estimé entre 300 et 400 milliards de FCFA ». Un volume qui confirme le Magal comme un pilier économique national. Il ajoute que sur le seul secteur de l’élevage, près de 33 milliards de FCFA ont été dépensés en deux semaines, et que « les commerçants réalisent 70 % de leur chiffre d’affaires annuel durant cette période ».

Les dépenses individuelles sont elles aussi significatives. Chaque pèlerin consacre en moyenne 105 000 FCFA à son séjour à Touba. Ces dépenses profitent à une multitude de secteurs : transport interurbain, hébergement temporaire, restauration, commerce de détail, télécommunications et transferts d’argent. Le docteur Souleymane Astou Diagne, coordinateur de l’étude économique du Magal, constate une transformation structurelle : « Les retombées économiques sont de plus en plus significatives, en volume comme en diversité d’acteurs ».

Les infrastructures suivent cette dynamique. Durant les quelques jours que dure le Magal, la demande énergétique augmente de 30 à 50 %, entraînant l’activation de groupes électrogènes et de forages d’urgence. Sur le plan de la mobilité, près de 236 000 véhicules ont été enregistrés à Touba en quatre jours. La ville devient ainsi un centre logistique d’envergure nationale.

Touba, laboratoire d’une économie communautaire et décentralisée

Touba, laboratoire d’une économie communautaire et décentralisée
Touba, laboratoire d’une économie communautaire et décentralisée

Fondée par Cheikh Ahmadou Bamba, Touba ne fonctionne pas comme les autres villes du Sénégal. Elle est administrée par des structures religieuses et échappe aux circuits classiques de la fiscalité étatique. Cette autonomie juridique et administrative, sous l’autorité du khalife général des mourides, explique en partie la puissance de son économie informelle.

Ce modèle, basé sur l’entraide et le travail communautaire, permet l’émergence d’un écosystème autonome et temporaire. Des milliers de commerçants informels s’installent pour la durée du Magal, transformant la ville en un marché géant. Les flux économiques ne se limitent pas à Touba : des produits, bétail et services convergent de tout le pays, alimentant un circuit économique circulaire.

La dimension spirituelle reste omniprésente. Le don religieux appelé « Adiya », donné au guide spirituel, atteint parfois plusieurs millions de FCFA. À cela s’ajoutent les transferts d’argent, effectués par 42 % des pèlerins, pour des montants allant jusqu’à 139 000 FCFA. Cette manne alimente un secteur des transferts qui génère des revenus quotidiens allant jusqu’à 800 000 FCFA pour certains acteurs.

Pourtant, l’État peine à intégrer pleinement cette dynamique dans ses stratégies de développement. Le Dr Diagne recommande ainsi la création de sites d’hébergement dédiés et l’élaboration d’un plan industriel localisé pour canaliser et valoriser cette ressource exceptionnelle.

Une ligne ferroviaire dédiée, des infrastructures renforcées et une organisation logistique unique montrent que le Magal est devenu un événement multidimensionnel. Au fil du temps, Touba s’est imposée comme la deuxième ville du Sénégal sur le plan économique et démographique, illustrant la puissance d’un modèle ancré dans les valeurs soufies.

Morgan Dossou

Journaliste passionné depuis une dizaine d'années, je m’intéresse aux grands enjeux de notre époque et à l’évolution du monde contemporain. Mon objectif est de proposer une information claire, fiable et accessible à tous, en mettant en lumière des sujets variés qui nourrissent la réflexion et favorisent une meilleure compréhension de l’actualité.

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